Jacques de Salomon de Poulard de La Lande
Premier écuyer de S.A.S Monseigneur le duc
du Maine
1664 – 1703
Fils de Pierre de Salomon, seigneur de Poulard et autres
lieux, cornette de cavalerie en 1663 et capitaine d'une compagnie franche, et
de Marie (de) Martin, Jacques est né en
1664 dans la maison noble de Poulard,
située dans l'actuel Lot-et-Garonne, à 4 kms au sud de Clairac, dont elle est
séparée par le Lot.
La maison noble de Poulard (voir ici)
Vivant dans un milieu protestant, sa famille est affectée par
la politique de conversion lancée par le pouvoir royal. Modérée à ses débuts en
1661, celle-ci se durcit à partir de 1679 et jusqu'à la Révocation de l'Édit de
Nantes en 1685. Le temple de Clairac, ville majoritairement protestante, est
démoli en 1683. Comme de nombreuses familles protestantes, les Salomon doivent
alors faire un choix entre exil ou conversion ! Jacques était alors un
gentilhomme huguenot au service de Jacques Nompar de Caumont, 4e duc de La
Force et pair de France, représentant de la seule famille ducale française
professant encore le protestantisme, lequel, ne voulant pas se convertir, reçu
ordre du Roi de se retirer dans son château de Boulaye le 30 janvier 1686, où
il abjura en mai. Mais cette abjuration n'étant pas sincère, il fut embastillé
de 1689 à 1691, date à laquelle il abjura de nouveau avant de retourner au
château de Boulaye où il mourut en 1699. Notons que les Caumont La Force avaient de nombreux biens aux
environs de Clairac.
Il est probable que
c'est entre 1686 et 1689 que Jacques, s'étant lui-même converti - du moins
officiellement -, entra au service du duc du Maine. Celui-ci ayant suivi
en 1688 Monseigneur le Dauphin dans le Palatinat, sur le Rhin, où il a donné
des preuves de sa valeur au siège et prise de Philippsburg, on pourrait imaginer
que Jacques y fût également présent, sur convocation des gentilshommes de
l'Agenais (comme son père en avait reçu en 1666 et 1674 notamment) et s'y fit
remarquer par le duc.
Le 19 Mai 1689 Louis-Auguste de Bourbon, âgé de 19 ans, fils
naturel légitimé de Louis XIV et de Madame de Montespan, duc du Maine, prince
de Dombes et comte d'Eu, duc d'Aumale, gouverneur du Languedoc, colonel général
des Cent-Suisses et des Grisons, général des Galères et lieutenant général des
armées navales, avait pris congé du Roi à Marly pour aller servir à l'armée de
Flandre, commandée par le Maréchal d'Humières. Il commandera la cavalerie,
notamment au combat de Valcourt le 27 Août 1689 et à celui de Fleurus le 1er
Juillet 1690.
Jacques était déjà à son service, comme l'indique un
certificat daté de Versailles du 3 avril 1689 par lequel le duc certifie :
« Que
le sieur Jacques de La Lande de Poulard fils du sieur de Poulard demeurant à
Poulard près de Clairac est actuellement à notre service en qualité d'un de nos
gentilshommes. » (AD 47, fonds Dubois, 5J504).
Il l'accompagna dans cette armée de Flandre comme l'indique
un autre certificat signé du duc, daté du camp de Lessines (Lessen) le 13
septembre 1690, certifiant : « Que
le sieur de Lalande, fils du sieur de Salomon de Poulard, demeurant à Poulard,
paroisse de Saint-Brice, diocèse d'Agen, a servi pendant cette campagne et sert
encore actuellement près de nous dans l'armée du Roi en Flandres. »
Donation en 1691
A la
fin de l’année 1690 Jacques est à Poulard d’où il écrit au duc du Maine le 23
décembre demandant la permission de prolonger son séjour. La réponse indiquant
que le duc « approuve fort que vous prolongiez votre voyage autant que
vos affaires le demanderont » est datée de Versailles le 5 janvier 1691,
et adressée à Monsieur de La Lande, gentilhomme du duc du Maine, à Poulard.
Elle est rédigée par Charles-Caton de Court, très lié à Malezieu, qui était
avec le prince au siège de Philippsburg. Le 28 janvier, dans la maison noble de
Poulard, Pierre de Salomon de Poulard, habitant en la présente maison, fait don
et donation entre vifs et irrévocable de tous ses biens meubles et immeubles
etc. à son fils, à savoir la maison noble de Poulard avec les rentes et
domaines qui en dépendent, les biens sis dans les juridictions de Montpezat et
de Prayssas, de Quittimont etc. [voir
transcription]
Maire de Clairac en 1693
Suite à un édit donné à Versailles au mois d'août 1692, par
lequel Louis XIV crée des maires perpétuels dans tous les hôtels-de-villes et
communautés du Royaume (à l'exception de Paris et Lyon), pour remplacer les
maires, jurats, consuls, capitouls, prieurs, premiers échevins et autres
officiers élus ou qui s'en attribuent la qualité, et considérés par le Roi
comme n'exerçant pas leur fonction sans passion, le sieur "Lalande de
Poulard" achète l'office de Conseiller
du Roi et Maire de Clairac, qu'il paye 5 000 livres et pour laquelle il
reçoit des lettres patentes datées du 28 décembre 1692 et enregistrées au
parlement de Bordeaux le 22 janvier 1693. Il est intronisé dans sa charge par
le doyen des consuls, Lamothe d'Hallot, qui lui remet le chaperon de maire dans
l'hôtel de ville avant la prestation de serment dans l'église paroissiale,
comme nous l'apprend l'acte municipal relatant la cérémonie.
Extrait d'un acte municipal
de Clairac
sur lequel la première
signature est "Lalande de Poulard, maire"
« 6 décembre ... il a été installé en la
dite charge ayant pris en séance la liste des dits sieurs consuls, et le dit
sieur d'Hallot lui a remis son caperon ; ce a été, la dite compagnie dans que
le dit sieur Lalande et tous présentés ont accompagné dans l'église paroissiale
de laquelle ville pour y prendre séance ; du quel a été lu le présent acte au lieu
duquel seront enregistrés les dits édit, lettres de provision, quittances de
paiement de la finance, et arrêt de réception pour janvier ... si besoin sera.
[Suivent les signatures, puis] Suit la tenure du dit édit de création, lettres
de provision, quittance du paiement de la finance et arrêt de réception. Louis
par la grâce de Dieu Roi de France et de Navarre »
Seigneur de Poulard en 1695
A la mort de son père, le 5 mai 1695, Jacques lui succède
comme seigneur de Poulard. Jusqu’alors il se qualifiait ″sieur de La
Lande″ (certains auteurs lui prêtant à tort le titre de marquis) ;
il se qualifiera désormais ″sieur de Poulard et de La Lande″. Le
défunt était tuteur et curateur de ses neveux, Suzanne et David, enfants du feu
sieur de la Reule, son frère. Suzanne de Salomon (de la Reule) devenue adulte
avait nommé pour son curateur André Dupouy, et s’étant mariée à Joseph Elie
d’Hallot, écuyer, sieur de la Mothe, celui-ci voulut entrer en possession de
ses biens. David, encore pupille, eut un tuteur en la personne de Jean Salomon
du Vaqué. Jacques quant à lui, comme donataire universel de son père, doit faire la provision de curatelle, rendre le compte de gestion et
administration faites par son père pour la personne et biens des dits enfants,
et remettre les capitaux, titres et papiers, ce pourquoi il fait difficulté,
invoquant des défauts de procédure dans la nomination du dit curateur à ses
yeux non légitime :
« Le
curateur de la fille n’ayant pas été attesté et le mari ne pouvant sans caution
disposer du capital et effets de sa femme mineure, ce motif sera juste et
raisonnable pour les proposants (les héritiers de Pierre de Salomon de Poulard)
dans ? de la décharge judiciaire qu’ils peuvent demander et qui ne peut
sans doute leur être refusée, à moins que le mari et le curateur ensemble le
tuteur du fils ne veuillent l’accorder solidairement, et l’un pour l’autre et
que les dits proposants y trouvent leur entière sûreté. » (5J504
DSC_7407)
Il semble que ce ne soit que fin
1696 que ces longues procédures prirent fin …
|
Feuille d’impôts (Rôle de taxes de la noblesse) de
Jacques de Salomon, datée d’Agen le 9 mai 1695 P1080551.jpg |
Monsieur,
Mr. L’Intendant m’a donné ordre de vous écrire ce billet pour vous avertir
que vous êtes compris au Rôlle de Taxes de la Noblesse, Classe dixneufième
qu’il a arrêté conjointement avec Mr. Le
Marquis de Valence pour la somme de six livres payable
en deux termes dont le premier doit être payé huit jours après la date du dit
état, Et l’autre au premier juin prochain ; il faut s’il vous plait y
satisfaire afin d’éviter les frais qu’on serait obligé de vous faire si vous
retardez. Je serais très fâché d’en venir là, c’est pourquoi je vous prie, soyez
ponctuel au payement : Et comme nous sommes très près du mois de juin, vous
serez bien de payer tout à la fois pour vous épargner les frais des voyages
& des exprès que vous seriez obligé d’envoyer si vous les faisiez en
divers temps. Je suis Vôtre
très humble et très obéissant serviteur Signé
: Lugar |
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Commissaire dans l’artillerie
en 1696
Le 5 janvier 1696 le duc du Maine, grand maître de
l'Artillerie de France depuis deux ans, lui accorde des lettres pour la charge
de commissaire dans l'Artillerie, lettres signées de lui-même et de Mr de
Torpanne et enregistrées au contrôleur général de l'Artillerie de France le 9
Janvier. Pierre Chol de
Torpanne était secrétaire général de l'Artillerie et secrétaire des
commandements du duc du Maine.
Mobilisation de la famille pour
asseoir sa position (février-mars 1696)
Pour que Jacques puisse disposer de suffisamment de biens
pour assurer sa position et contracter une union qui se prépare, un contrat est passé
le 24 février suivant (1696), par devant Fréron, notaire royal à Clairac, entre
l'intéressé, sa mère (Marie de Martin) et ses sœurs encore vivantes. Sa mère
lui fait "un relâchement considérable" sur les droits qu'elle a sur
les biens de son défunt mari, et se démet de tous ses biens à son profit contre
la somme de 12 500 livres ou la production d'une rente de 500 livres par
an durant sa vie. Ceci est rappelé dans le testament de Marie de Martin daté du
14 octobre 1710 :
« par un contrat passé devant moy notaire le
24 février 1696 avec led. feu Sr de Lalande son dit fils en qualité
de donataire universel dud. feu Sr de Salomon de Poulard son père
les droits que ladite Delle testatresse a sur les biens du feu Sr
Salomon est fixé à 12 500 livres et qu’elle aurait fait de ses droits un
relâchement considérable en faveur de feu Sr de Lalande sondit fils
elle aurait prêté à ses filles 950 livres pour lesquelles deux sommes qui
reviennent à 13 450 livres (…) lègue 2 000 livres à Mélanie Françoise sa petite
fille, lègue son héritière universelle Henrie sa fille décédée depuis quelques
jours, Catherine et Marguerite ses héritières générales. »
Ses trois sœurs déclarent se contenter pour tout droit de la
succession de leur père de la somme de 3 000 livres chacune (voir accord du 12 mars)
et faire don et donation à leur frère du surplus. Il est également stipulé
qu'elles jouiront conjointement avec leur mère du château de Poulard.
Signatures de Jacques et de
ses trois sœurs sur accord du 12 mars 1696
Démarche de Jacques pour
confirmer la noblesse des Salomon
Afin de faire entrer un peu d’argent dans les caisses de
l’État, le Roi signe au mois de mars 1696 un édit anoblissant, ou confirmant
dans leur noblesse, cinq cents personnes du Royaume qui seraient choisies parmi les plus distinguées par leurs mérites,
leurs vertus et leurs bonnes qualités. Dès lors Jacques entreprend les
démarches pour officialiser une noblesse dont les preuves sont égarées ou qui
n’avait peut-être pas été enregistrée aux différentes chambres requises.
Son mariage avec Mademoiselle
de Castéja en octobre 1696
Mme de Maintenon qui avait pour secrétaire Jeanne-Françoise
de Biaudos de Castéja, qu’elle avait appréciée à Saint-Cyr, s’employa à la
marier, comme elle le faisait généralement pour ses protégées. Dans une lettre
à Mme de Fontaines, supérieure de Saint-Cyr, Mme de Maintenon écrit le
26 septembre 1696 : « Je vous prie de vous souvenir de Mlle de Castéja dans vos prières,
j’espère la marier samedi.» [Lettres de Madame de Maintenon, op. cit. vol. 2, lettre 653]
Le mariage a lieu non pas le samedi suivant, mais le jeudi le
11 octobre, à Fontainebleau où se trouve alors la cour. Un contrat avait été passé le lundi précédent, au
château de cette ville, par devant maître Torinon, notaire à Paris, en présence
du Roi, du Dauphin, du duc et de la duchesse du Maine et de Madame de
Maintenon qui signent le
document avec les futurs mariés et les autres témoins. Cette dernière avait
reçu procuration des parents de Jeanne Françoise, retenus à Furnes. Cette
procuration, passée le 2 octobre devant le bourgmestre et les échevins des
dites ville et châtellenie, dont elle porte le sceau, est jointe au contrat de
mariage.
Louis XIV ( à gauche] et son fils le Grand
Dauphin (à droite),
témoins et signataires du contrat de mariage de
Jeanne-Françoise au château de Fontainebleau le 8 octobre 1696.
-détails d’huiles sur toiles par Hyacinthe
Rigaud-
© RMN Grand-Palais (Château de Versailles)
Dangeau
écrit à la date du dimanche 7 octobre (tome
VI page 4):
« Le
roi et Monseigneur allèrent tirer chacun de leur côté. Le roi a nommé M. de
Calières, envoyé extraordinaire et plénipotentiaire en Hollande. Le roi lui
donne de quoi se mettre en équipage et 24 000 francs par an d’appointements. M. de La Lande, écuyer de
monseigneur le duc du Maine, épouse mademoiselle de Castajas
[sic], qui était auprès de madame de Maintenon ; le roi la fait femme de
chambre de madame la duchesse de Bourgogne, et donne 40 000 livres à son
mari sur la maison de ville. » Il s’agit là de rentes sur l’hôtel de ville de Paris, fondées par
François 1er, un des placements considérés
comme les plus sûrs sous Louis XIV, autant que les offices ou les terres. La
rente procurait un revenu fixe tout en permettant de conserver un capital en
cas de crise. A cette époque le payeur de ces rentes était François Rouälle,
seigneur de Boisgeloup, ancêtre de l’auteur.
Pendant que le roi courre le cerf avec le roi et la reine
d’Angleterre, le duc de Maine, son fils légitimé, et madame de Maintenon assistent à la
cérémonie de mariage de leurs protégés respectifs, mariage inscrit sur les
registres paroissiaux de Fontainebleau à la date du 11 octobre 1696.
Les témoins des mariés
De
gauche à droite : Le duc du Maine (d’après une gravure de Lamersin) et le comte de Toulouse (par Hyacinthe Rigaud) pour le marié,
Madame
de Maintenon (anonyme) et le marquis de Montchevreuil (par Jean-Charles Larcher), pour la mariée.
© Direction des musées de France
Logement en l’hôtel du duc du
Maine
En plus de son appartement au château de Versailles, le duc
du Maine avait reçu du Roi son père, en 1685, le tout proche château de Clagny
et possédait également un hôtel particulier situé dans la rue des Bons-Enfants,
qu'il utilisait pour héberger ses serviteurs et ses chevaux et y organiser des
réceptions dans un décor moins pompeux qu'au château.
L’hôtel du Maine, et la rue des Bons Enfants, à côté du château de Versailles,
en 1685
Cet ″hôtel du
Maine″ était situé
dans la rue des Bons Enfants,
aujourd’hui rue du peintre Lebrun,
juste à côté du château. Il était situé au numéro 12 (actuel n° 24), à côté
d’un terrain appartenant au cardinal de Bouillon. Il s’agit donc, sur la carte
établie en 1685 (ci-dessus) de l’hôtel marqué Hôtel de Vienne car il appartenait à François Quentin de Vienne, frère de notre ancêtre Jean Quentin
de Champlost. Celui-ci le vendit probablement au duc du Maine.
Au décès du duc du
Maine, Louis-Charles de
Bourbon, comte d’Eu, son fils, hérita de cet hôtel, depuis connu comme ″hôtel
d’Eu″. Etant mort sans postérité, comme ses frères, c’est le duc de
Penthièvre qui hérita, en 1775, des nombreuses demeures laissées par son
cousin.
L'hôtel du duc du
Maine subsiste encore en partie au 24 rue du peintre Lebrun
C’est
dans cet hôtel que loge le jeune couple. D’après un inventaire établi en 1703,
on voit qu’il dispose d'une grande chambre de plain-pied, avec cheminée, et aux
murs décorés d'un petit tableau peint sur cuivre représentant leur mariage, de
deux tableaux à bordure dorée peints sur toile représentant le duc et la
duchesse du Maine, d'un petit tableau représentant le duc du Maine à cheval,
d'un Christ d'ivoire sur sa croix, sur fond de velours noir, garni d'une
bordure de bois doré, d'un grand reliquaire ouvrage de religieux et deux autres
tableaux de dévotion. La pièce est meublée simplement : leur lit et un petit lit, tous deux de bois
de noyer, une petite table à l'anglaise brisée de bois de violette plaqué, un
écritoire en bois de noyer garni de son encrier, une petite table pliante
couverte de serge verte avec un petit écritoire de cuir, une chaise et un
tabouret. Vingt pots de porcelaine de différentes formes et deux de faïence
constituent avec un miroir les principaux objets. Dans une petite chambre
également de plain-pied se trouvent une petite couche, une table de toilette et différentes pièces
de tissus.
Il y a également une petite chambre où couche le valet de
chambre, un espace sous une soupente avec un lit, une cuisine en
rez-de-chaussée de la cour, bien équipée, une cave pour y garder le vin de
Bourgogne et de Venise qu'ils semblent affectionner. Ils utilisent aussi une
petite antichambre au second étage, sans doute pour la femme de chambre (Jeanne
Maréchal), avec un lit de camp à sangles et ses deux matelas, une autre couche
avec ses deux matelas également, six chaises à dossier, un grand coffre, un
tabouret etc.
Deux chevaux de carrosse sont dans une écurie, le dit
carrosse, coupé, restant dans la cour.
Le personnel est alors composé de deux valets de chambre
(Antoine Cochod et le sieur Cresson), deux femmes de chambre (dont Jeanne
Maréchal), deux laquais, un cocher et une cuisinière.
Mme de Maintenon adresse à
Jeanne-Françoise cette lettre fin 1696 :
« Vous
voilà, ma chère enfant, dans votre ménage; je prie le ciel de le bénir, et je l'espère fermement. Vivez dans le fond de
votre maison, fuyez le monde ; lisez, travaillez, instruisez votre petit
domestique, gagnez leurs âmes à la vertu. Attachez-vous à plaire à votre mari,
et tâchez de ne plaire qu'à lui seul (elle était,
en effet, extrêmement belle). Offrez à Dieu vos
enfants, avant et après leur naissance ; édifiez ceux qui vous verront,
voyez en le moins que vous pourrez. Que Saint-Cir (sic) et ma maison soient
pour vos plus grands plaisirs. Aimez vos devoirs, si vous voulez les remplir.
Soyez laborieuse, nous sommes tous nés pour le travail et aucun des moments de
notre vie n'est à nous. Priez pour moi ; votre cœur est pur, vos prières seront
exaucées ; vous savez mieux que personne mes imperfections et mes défauts. Je
compte sur ce que je vous ai proposé, pour demain. Si quelque chose vous en
empêchait, il faut le mander à Mlle de Normanville (nouvelle
secrétaire de Mme de Maintenon). » Lettre 690 ; dans son livre, Lavallée note qu’il s’agit là de la copie
qui en fut faite par La Beaumelle sur les manuscrits des Dames de Saint-Cyr, et
que cette copie n’est pas du tout conforme au texte qu’il a arrangé pour le
faire imprimer. Les lettres de Madame de Maintenon varient
d’une édition à l’autre, par l’apparition ou la disparition de certaines
phrases
Enregistrement des armoiries en
mars 1697.
Dans la procédure pour l’obtention des
lettres de noblesse, Jacques et Jeanne-Françoise doivent faire enregistrer
leurs armoiries à l’Armorial général, ce qu’ils font auprès de d’Hozier, à
Versailles, le 26 mars 1697.
Armoiries des personnes,
maisons et familles
Récépissé de règlement
d’enregistrement des armoiries
de Jacques de Salomon et Jeanne-Françoise de Biaudos.
« Je, commis à la
recette des droits d’enregistrement des armoiries ordonné, être fait par édit
du mois de novembre 1696, soussigné, reconnais que monsieur Lalande de
Poulard, écuyer, gentilhomme de son altesse sérénissime Monseigneur le duc du
Maine, et madame son épouse, ont aujourd’hui apporté en ce bureau
et présenté leurs armoiries pour être enregistrées à L’armorial général, et
qu’ils ont payé, savoir pour le droit d’enregistrement suivant le tarif pour
chacune … »
Armes dessinées par d’Hozier dans l’Armorial général de France (vol 35)
Salomon de La Lande de Poulard – Biaudos de Castéja
© D. Barbier
Le 17
mars 1697, Madame de Maintenon obtient un rendez-vous
pour sa protégée, désormais connue sous le nom de ″Madame de La Lande″,
avec Louis Phélypeaux, comte de Pontchartrain, qui cumule alors les fonctions de
contrôleur général des finances, de secrétaire d’État de la Marine et de
Secrétaire d’État de la Maison du Roi :
« Je
parlais hier au soir à Monsieur de Pontchartrain. Il me dit que vous allassiez
le trouver, les premiers jours du mois prochain ; mais, comme votre état
ne vous le permettra pas, il faut que Monsieur de La Lande y aille ; ce
billet le présentera. Je ne puis pas aller chez vous, vous ne pouvez venir chez
moi; cependant vous voulez me voir et je
veux que vous me voyiez. Je vous envoie donc ma chambre ;
je sais que vous vous y êtes amusée. » Selon La
Beaumelle, la chambre est éventail où l'on voit au naturel
l'appartement de Madame de Maintenon : le roi y travaille à son bureau,
Madame de Maintenon file, Madame la duchesse de Bourgogne joue,
Mademoiselle d'Aubigné fait collation (Note personnelle de Jean-Denis de
Biaudos de Castéja : ″l'éventail a disparu!″).
Le motif de ce
rendez-vous avec un personnage si important n’est pas connu mais pourrait être
liée aux démarches entreprises par le couple Salomon pour leur reconnaissance
de noblesse.
Cette lettre, tout comme plusieurs autres indices
concordants, laisse supposer que Jeanne-Françoise est enceinte mais que cette
grossesse n’ira pas à son terme. La fausse couche se produira en avril ou mai
puisque la conception de son premier enfant, né en avril 1698, se situe donc au
mois d’août.
Le 30 novembre 1697, Jacques Salomon de Poulard, écuyer, seigneur de Poulard, gentilhomme de
monseigneur duc du Maine et Françoise de Malézieu (née Faudel), gouvernante de
Monseigneur le prince de Dombes, portent sur les fonts de Notre-Dame de
Versailles Françoise Magdeleine Duval, fille d’un valet de chambre du duc du
Maine.
Signatures de Jacques de Salomon de Poulard et de Françoise de Malezieu
sur le registre des BMS de 1697 (vue 274)
Naissance d’un premier enfant
le 10 avril 1698.
La naissance du premier enfant de Jacques et Jeanne-Françoise
a lieu le 10 avril 1698 à leur logement de l’hôtel du duc du Maine : c’est un garçon, qui est porté sur les fonts baptismaux de
Notre-Dame de Versailles, le surlendemain, par le duc du Maine et Madame de Maintenon, ses parrain et marraine.
Chose curieuse, le prénom de l’enfant, qui logiquement devrait être
Louis-Auguste, n’est pas précisé sur le registre des baptêmes. C’est l’acte du
décès, survenu 16 mois plus tard, qui nous apprend que le garçon fut surnommé
Louis-François : Louis comme son parrain, et François, prénom que
porteront tous les enfants Salomon, tout comme leur mère et leur grand-mère Guillerme le portaient.
Registre de baptêmes Notre-Dame de Versailles 1698
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On remarque les signatures du duc de Maine et de Madame de Maintenon
Après l’accouchement Madame de Maintenon, marraine de Louis-François, envoi ce billet à la mère:
« Je
suis ravie, ma chère enfant, de vous savoir accouchée heureusement, et
accouchée d’un garçon. Je vous l’avais bien dit qu’on se faisait les maux plus
grands qu’ils n’étaient, et que la tendresse pour l’enfant en diminuait une
partie, et que l’amour pour le père donnait la force de supporter l’autre.
Remerciez Dieu de ses grâces : un mary sage, un fils, de la santé, quels
biens souhaiter après cela ? Personne ne s’intéresse plus à vous que
moi ; vous mériterez toujours mon amitié ; vous l’aurez toujours.
Conservez-vous : tâchez de nous bien porter est un de nos devoirs. Quoique
vous entendiez dire, ne vous alarmez pas ; fiez-vous-en à moi ; on
verra que vous êtes favorite d’une favorite. »
Ce billet évoque des « maux », qui peuvent faire
penser soit à une grossesse difficile soit à la fausse couche mentionnée
précédemment.
Le 7 novembre 1698, Jacques est envoyé par le duc du Maine tenir sur les fonts
baptismaux son filleul Louis Auguste Desbert, fils d’un de ses gentilshommes.
Signature de Jacques, représentant le Duc du Maine, sur le registre des baptêmes
Par
une lettre qu’elle lui adresse de Versailles le 15 novembre, nous savons que le
perruquier de Jeanne-Françoise était à cette époque monsieur de Launay, à
Paris.
Naissance et décès en 1699
Le 10 août 1699, Jeanne-Françoise met au monde à Versailles
une fille, Françoise-Mélanie, celle qui figure avec sa mère sur la peinture
présentée en couverture. Elle est baptisée le douze, ayant pour parrain Nicolas
de Malezieu et pour marraine
Françoise Faudel de Faveresses, son
épouse, gouvernante des enfants du duc du Maine.
Registre des baptêmes de
Versailles, paroisse Saint-Nicolas
(1699, vues 37 & 38/97)
|
Nicolas
de Malezieu (1650-1727) Un des familiers
de la cour de Sceaux, précepteur du duc du Maine et plus tard secrétaire de ses
commandements, chancelier de la principauté de Dombes, secrétaire général des
Suisses et Grisons, membre de l’Académie des Sciences (1699) et de l’Académie
Française (1701). Il était l’auteur des divertissements de Sceaux. Il avait
épousé Françoise Fauvel, gouvernante des enfants du duc du Maine. Nicolas de Malézieu était
présent au mariage de Jeanne-Françoise et Javques. |
Une lettre de Mme de Maintenon à Jeanne-Françoise, montre
encore la proximité avec les Malézieu :
« Je
voudrais bien vous voir, mais je fais si rarement ce que je voudrais. Dites à
Mme de Malézieu que Mademoiselle sa fille a bien envie de l’entretenir. Je la
ferai entrer quand elle voudra, mais il faut qu’elle veuille un jour que la
Princesse [la duchesse de Bourgogne] sera à Saint-Cyr, mardi ou mercredi à son choix. La
Princesse n’y manque guère ces deux jours-là. Je vous envoie un bonbon pour
vous consoler. Conservez-vous, c’est un de nos devoirs que de tâcher de vous
bien porter. Je vous embrasse de tout mon cœur. » [Lettres de Madame de Maintenon, op. cit. vol. 3, lettre 64. En
note est écrit : « Date indéterminée mais il semble que cette
lettre date de la période où Mme de La Lande vient de perdre son premier enfant ». Melle
de Malézieux (Elizabeth) a pris l’habit le 20 mai 1697 et est sortie le 13 mars
1698 ne se croyant pas une vocation assez forte pour y pouvoir rester ;
elle épouse le 29 février 1699 Antoine de Rioux, conseiller au parlement des
Dombes. Cette lettre a donc été écrite entre ces deux dates, et correspond à la
période de la supposée fausse couche du printemps 1697].
La joie de cette naissance est assombrie moins d’un mois plus
tard par le décès de Louis-François, le 7 septembre 1699 ; il n’aura vécu
que 16 mois. Les condoléances envoyées le lendemain à son ancienne secrétaire
sont une autre occasion donnée à Madame de Maintenon d’écrire à
Jeanne-Françoise :
« Je
suis très touchée de votre douleur, ma très chère. Je l’ai toujours prévue, et
crainte, n’ayant jamais eu bonne idée de ce pauvre enfant. Donnez de bon cœur à
Dieu les prémices de votre famille ; c’est un ange, et selon toutes les
apparences, vous ne manquerez pas d’enfants. Quand vous vous porterez bien,
venez ici, vous y trouverez des distractions innocentes, qui charmeront votre
affliction. Je ne vous assure pas de mon amitié, il me semble que vous n’en
doutez pas, et vous avez raison. » [Ibid. lettre 62. Dans cette édition la date de la
lettre est 1698, vers la fin du mois de septembre ;
dans son édition, Lavallée la date de Saint-Cyr, le 8 septembre 1698. Ils ont tous deux
fait une erreur dans la date qui doit être 8 septembre 1699.]
Registre de sépultures Notre-Dame de Versailles 1699
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Réception des lettres de
noblesse en octobre 1699.
Pendant ce temps, les démarches pour l’obtention des lettres
de noblesse suivent leur cours, comme nous le montre un reçu du 8 octobre 1698.
Quittance adressée à Jacques
de Salomon de Poulard le 8 octobre
1698
en règlement des 6 000 livres que coute chaque lettre de noblesse
(il faut en plus régler la taxe des 2
sols par livre, soit 600 livres)
-Archives départementales du Lot et Garonne, fonds
Dubois, 5J504 DSC_7298-
Les lettres de noblesse sont données à Jacques de Salomon
à Versailles en février 1699, confirmant son ancienne noblesse, et sont enregistrées à Bordeaux (AD 33 fol a5).
Depuis plusieurs générations en effet, les Salomon portaient le titre d’écuyer et étaient qualifiés noble. En témoignent de nombreux actes
et aussi, entre autres, la feuille d’imposition de Jacques pour l’année 1695
adressée à Clairac (voir ci-dessus) :
Ces lettres de noblesse sont enregistrées au greffe de la Cour, en vertu de l’arrêt d’icelle du 3
novembre par le sieur Jacques
Salomon, sieur de Poulart [sic]:
Demande d’enregistrement des
lettres de noblesse
de Jacques de Salomon, seigneur de Poulard
(Archives du Lot-et-Garonne)
« A Nos seigneurs de parlement
Supplie humblement, noble Jacques de Salomon, écuyer,
seigneur de Poulard, disant qu’il a plû à Sa Majesté par ses lettres patentes,
en forme de charte, du mois de février dernier de le confirmer dans le titre de
noblesse et d’écuyer, lesquelles lettres le suppliant désirer faire enregistrer
aux registres de la Cour pour jouir du contenu en icelles, et pour cet
effet il a recouru à son autorité,
Ce considéré, il vous en plaise devoir voir les
dites lettres patentes et ordonner qu’elles seront enregistrées aux registres
de la Cour et que le suppliant et sa postérité jouiront de l’effet d’icelles
Signé Cazenauze
Vu les lettres patentes du Roi portant
confirmation en faveur du suppliant, tant pour lui que pour ses descendants, de
la qualité de noble et d’écuyer, données à Versailles le mois de février
dernier, signées Louis, et sur le repli pour le Roi Phélypéaux ? Boucherat
scellées de cire verte, requérons les dites lettres être registrées ( ?)
et registrées ( ?) de la Cour pour jouir par le suppliant et pas sa
postérité de l’effet d’icelles conformément à la volonté du Roi.
A Bordeaux le premier de septembre ( ?)
1699. Signé du Vigier »
Quittance pour le sieur de
Salomon de Poulard
Le 30 octobre 1699 par devant Fréron, « Noble Salomon de
Bar de Mauzac, écuyer, sieur de Campagne, habitant Mauzac en Languedoc,
procureur de messire Joseph de Guillermin, conseiller du roy à la cour et
parlement de Toulouse, seigneur baron de Seysses a dit devoir à Jacques de
Salomon de Poulard, écuyer, seigneur de Poulard et de Lalande, par les mains de
demoiselle Catherine de Salomon de Poulard sa sœur, et sa procuratrice ici
présente la somme de 1 400 livres laquelle feu Sr de Salomon de Poulard père
dudit seigneur de Lalande, était obligé en faveur de M. le baron de Mauzac par
contrat du 11 avril 1678 (Meric notaire royal) etc. »
Naissances en 1700 et 1701
Le 31 août 1700, nait une autre fille, Françoise-Séraphie,
baptisée le lendemain à Notre-Dame de Versailles, ayant pour parrain René Le
Gantier de la Vallée-Rané, aumônier du duc du Maine, et
pour marraine sa grand-mère maternelle Jeanne-Françoise de Guillerme, épouse de Fiacre de
Biodos de Castéja, escuyer, seigneur de castéja, chevalier de Saint-Louis,
lieutenant et commandant pour le Roi à Furnes. La famille Le Gantier est originaire de la Sarthe où elle possédait les fiefs de La
Vallée et de Rasné, près de La Chartre-sur-Loir. René est le frère de François
lieutenant en pied depuis 1693, garde de la Marine et commandant du Fort
Lachine au Québec, qui fut guéri miraculeusement de vomissements à la suite
d’un pèlerinage effectué auprès de la Vierge des Iroquois, Catherine (Kateri)
Tekakwitha, morte en 1680.
Registre des baptêmes, année
1700, vue 105/150
Un quatrième enfant, Jacques François, nait le 26 septembre 1701. Le parrain est François Lanoine et la marraine Charlotte de La
Cour, femme de Claude du Pray, soldat aux gardes. Ce sont des « pauvres de
profession » choisis, comme cela était courant à l’époque, pour honorer
leur indigence et inspirer à l’enfant plus d’attachement pour cette classe
malheureuse. Ainsi Montaigne,
Buffon, Montesquieu, parmi les plus célèbres, eurent des pauvres pour parrains
et marraines.
Registre des baptêmes, année 1701, vue 121/161
Décès de Jacques en juin 1703
En effet, après six ans de mariage, Jacques de Salomon a fait une mauvaise chute
de cheval à la chasse et, après plusieurs mois de souffrances, il meurt le 24
juin 1703 à Versailles, en l’hôtel du Maine ; il est inhumé le lendemain, en présence de l’aumônier
du duc de Maine, parrain de Françoise-Séraphie, et de Jean-Mathias de Riquet comte de
Caraman, (époux de Marie-Madeleine de Broglie), officier de ses gardes.
Registre des sépultures de Versailles, paroisse Notre-Dame
année 1703, vue 44/97
Dans son Mémoire (p. 441), Madame du Pérou disait de madame de
Lalande qu’elle était toujours demeurée
veuve et dans l’estime du monde.
Dans les Conseils et
instructions aux demoiselles pour leur conduite dans le monde, on trouve un
entretien de madame de Maintenon, qui nous en apprend beaucoup sur la triste fin de Jacques
de Salomon :
«
Madame dit un jour, à l’occasion de M. de La Lande, qui venait de
mourir : Vous ne sauriez
croire, mes chers enfants, tout le bien que l’on dit de madame de La Lande, et
combien elle a été louée à Marly, d’où je viens ; le roi lui-même en a fait un très grand éloge. Vous voyez par là que ce
qui fait louer une personne n’est pas d’avoir de beaux habits, et bien des
rubans sur la tête ; que ce n’est point non plus d’être fort riche, ou
d’avoir un grand esprit. Madame de La Lande est une simple demoiselle de Saint
Cyr, qui a épousé un gentilhomme qui n’était point riche, et elle n’est point
d’un rang assez distingué pour que le roi veuille bien parler d’elle comme il
fait ; d’où vient donc cela ? De son mérite et de sa bonne
conduite ; c’est une femme qui depuis six ou sept ans qu’elle est mariée,
à toujours souffert, car elle a mené une vie fort triste, ayant épousé un homme
d’une dévotion très sévère et mélancolique, en un mot d’une dévotion qui
n’était pas réglée par l’esprit de saint François de Sales ; c’était un
nouveau converti, il ne voulait pas qu’elle prît les plaisirs les plus
innocents, craignant qu’il n’y eut du mal. Il était fort retiré et la tenait
très renfermée ; elle s’est accommodée à tout cela, à tourner sa dévotion
selon le goût de son mari, ne sortant jamais d’une chambre deux fois grande
comme les cellules de vos maîtresses. Voilà comment elle a passé les quatre
premières années de son mariage. Ensuite son mari est devenu malade, elle l’a
servi sans le quitter, principalement depuis deux ans qu’il est empiré, il y a
quatre mois qu’elle ne s’est couchée parce qu’il ne pouvait se passer
d’elle ; quelquefois il la renvoyait par de petites bizarreries dont les
malades ne sont point exempts, puis, si elle tournait la tête, il se plaignait
qu’elle l’abandonnait. Il fallait qu’elle fût toujours là à l’entendre crier, à
sentir une odeur à faire crever ; car un de mes gens que j’y voulais
envoyer l’autre jour, et qui est plein d’affection, me dit : Madame,
jusqu’ici j’y ai été deux fois le jour, mais, en vérité, je n’y puis plus aller,
je m’en trouve mal, on n’y peut durer par la mauvaise odeur. Il ne voulait pas, le pauvre homme, qu’on
ouvrit un volet, craignant que cela ne lui fît mal, ce qui pouvait bien être
vrai. Voilà l’état où était Madame de La Lande. Il n’est pas, comme vous voyez,
fort agréable, cependant elle ne s’en est jamais plainte à personne, pas même à
moi ; non, elle ne m’a jamais dit qu’elle souffrit rien, quoiqu’elle me
l’eût bien pu le dire ; elle a pris tout ça sur elle, s’est renfermée encore toute jeune et bien faite de sa
personne, et s’est passée de toutes sortes de plaisirs, car depuis qu’elle est
mariée elle n’en a jamais eu d’autres que de venir quelquefois ici avec moi. Si
Madame de La Lande ne s’était pas bien conduite, qu’elle n’eut été occupée qu’à
se divertir, qu’elle eut laissé là son mari, on ne parlerait pas d’elle aussi
avantageusement que l’on fait à présent ; mais comme on sait la vie
qu’elle a menée du vivant de son mari, on l’estime, on la choie, et il n’en
faut pas d’avantage pour la faire admirer, et pour faire dire à tout le
monde : Mon Dieu ! Que cette femme-là est estimable, qu’elle a de
mérite ! Assurément, si quelqu’un veut être heureux, il l’épousera. »
et de poursuivre : « On me dit
l’autre jour que Mademoiselle de … avait peur de M. de la Lande, et qu’elle
avait de la peine à aller auprès de lui ; je lui dis d’un air bien
sec : « Mademoiselle, vous n’êtes donc propre qu’à aller à Marly et à
partager les plaisirs de vos amis ? Il faut prendre autre chose, il faut savoir
les servir et les consoler : allez-vous en auprès de madame de la
Lande. » Elle aurait dû me le demander avec empressement, et me prier de
la laisser quitter Marly pour l’aller consoler, car étant amies comme elles le
sont, elle aurait dû ne la pas quitter et pleurer avec elle, s’ennuyer avec
elle ; il aurait fallu s’attrister avec elle. Voilà ce qu’on doit faire
pour ses amis, sans cela il n’y a point de vrie amitié. » Ed. E. Ardant (Limoges), 1882, De la bonne réputation, 1702, p. 19
(la date est évidemment fausse puisque Jacques est mort en 1703)
Jeanne-Françoise est alors élue tutrice de ses enfants et
Pierre Mayeux, bourgeois de Paris, subrogé tuteur.
Un inventaire des biens appartenant à la succession de
Jacques est conduit à Versailles le 6 août et au château de Poulard le 27 août.
Jeanne-Françoise assiste au premier et est représentée par le sieur Demichel au
second.
Lettre de
Madame de La Lande à Monsieur de la Reulle
datée de Versailles, le 5 septembre (sans doute 1703)
(Archives départementales du
Lot-et-Garonne, Fonds Dubois, 5J505)
« Vous
avez raison, Monsieur, d’avoir ressenti la perte que j’ay faite ; c’en est
une très grande aussi pour vous puisque Dieu a disposé de la personne du monde
qui avait des sentiments les plus tendres pour vous et plein d’envie de vous
aider en tout. Vous trouverez, Monsieur, cette même disposition en moi et vous
ne me saurez faire un plus grand plaisir que de vous y adresser pour tout ce
que vous aurez besoin, c’est la seule consolation qui me reste dans mes
malheurs de pouvoir rendre service aux parents d’une personne j’ai aimée plus
que moi-même et à qui je ne puis penser sans une douleur extrême ; ne
m’épargnez donc pas, Monsieur, et croyez que c’est me rendre service que de me
donner occasion de vous être bonne à quelque chose ; mandez moi souvent de
vos nouvelles. M Le Boiteulx m’en dit quelque fois ; il a toujours
fort envie de vous faire plaisir ; il m’a assuré que votre commandant est
content de vous ; cela me console fort ; faites lui, je vous en
prie mes très humbles compliments et me croyez, Monsieur, de tout mon cœur,
votre très humble et obéissante servante. Signé Castéja de Lalande. »
Parmi les proches de Jacques qui resteront toujours fidèles à
Jeanne-Françoise, Gilles-René Le Boiteulx, cité dans la lettre ci-dessus. Il était le secrétaire du duc de Maine en sa qualité de grand maître de l’Artillerie
de France et portait le titre de secrétaire
général de l’Artillerie. C’est à lui qu’elle vendra sa propriété de
Croissy-sur-Seine. Mort d’apoplexie en 1732, son frère M. de Gormont (Le
Boiteulx de Gormont) lui succéda en cette charge.